L’Union régionale des CAUE normands a proposé le jeudi 3 octobre 2024 à Pirou (Manche), une causerie animée par Marie Atinault, autour de l’ouvrage Utopies rustiques - Paysages et jardins en chantier.
“Notre époque vit des bouleversements écologiques et sociaux sans précédent. Chez les paysagistes comme ailleurs, il est plus que jamais nécessaire de créer des horizons pour des transitions salvatrices. Rajeunir le monde de l’aménagement, son organisation et ses lois, prendre le contrepied pour expérimenter des transformations.” Collectif auteur de l’ouvrage
en présence d’une partie des co-auteurs,
François Roumet,
enseignant, responsable du département écologie à l’École nationale supérieure de paysage de Versailles, urbaniste et paysagiste DPLG,
et
Camille Fréchou,
enseignante, jardinière, conceptrice paysagiste,
et des concepteurs du Parc de Pirou, Le Jargon des Oies,
Thibaut Guézais,
paysagiste DPLG
et
Marc Vatinel,
paysagiste DPLG et jardiniste.
Revivez les échanges de la causerie “Comment faire avec le déjà-là ?” en podcast.
de Camille FRECHOU, François ROUMET, Marc RUMELHART, Meryl SEPTIER
Éditions Parenthèses
Utopies rustiques est un manifeste pour de nouvelles manières de fabriquer le paysage. Il prend acte des bouleversements écologiques et sociaux contemporains. Chez les paysagistes comme ailleurs, il est plus que jamais nécessaire de parler d’expérimentation, de recherche pour rajeunir le monde de l’aménagement, en prendre le pied pour transformer des lieux et leur donner de nouveaux usage. En gerbe depuis 30 ans au département Écologie de l’éÉcole nationale supérieure de paysages de Versailles, l’ouvrage s’est nourrit de nombreuses… La suite dans la vidéo…
Union régionale des CAUE normands
2 place Général de Gaulle
50000 SAINT-LÔ
DU LUNDI AU VENDREDI
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© 2024 Union régionale des CAUE normands
Marie Atinault
Bonsoir à toutes et tous. Bien écoutez, ravie de vous retrouver ici ce soir à Pirou. Je crois que Madame le Maire peut être souhaitait dire un mot d’ouverture. Je vous en prie, Madame le maire.
Noëlle Leforestier, maire de Pirou
Bonsoir à tous, donc avec mon équipe municipale, nous sommes heureux et fiers de vous accueillir à Pirou pour notre projet de parc naturel que nous avons réalisé. Nous voulions vraiment que ce projet soit une réussite. Et nous avons eu beaucoup de difficultés parce qu’on ne connaît pas toujours les règlements, les lois. Et nous avons pu le réaliser grâce au CAUE de la Manche, qu’on ne remerciera jamais assez et au bureau d’études Novascape. Et là, nous avons Thibault et Marc ce soir. Mais en fait, c’est un groupe de 5 personnes.
Et donc c’était un espace qui était un petit peu inculte. Et en fait c’est la terminaison d’un ancien lac. Il y avait un très grand lac à Pirou qui a été asséché à la moitié du 19e siècle. Et puis après s’était laissé un petit peu à l’abandon et ils avaient créé une rivière. Mais quelque chose de rectiligne et comme ça une forme de cuvette, tout le bas était inondé.
Dans nos projets, on a reméandré la rivière. On a fait des mares. Et on a essayé que la nature reprenne un peu sa place et que ce soit beaucoup plus facile pour la biodiversité d’exister. Et on a aussi retrouvé autour, par exemple, des murets en pierre qu’on a mis en valeur. La maison du jardinier également. C’était une ancienne étable qui avait été détruite à la guerre. Donc on l’a réutilisé.
Ça c’est grâce aux compétences des architectes, ingénieurs, écologues et puis aussi grâce à Agile Architecture, une entreprise parisienne, qui a fait des belles choses et qui a exposé à Paris toutes ses réalisations et on a eu la chance que notre projet ait servi d’affiche à Paris. Voilà on se vante un peu, mais on est très fier. Et franchement pour moi le CAUE de la Manche, on leur dira vraiment beaucoup de fois merci. Parce que c’est vraiment grâce à eux qu’on a fait ça, donc on je ne vais pas continuer parce que je pourrais vous en parler des heures sur tout ce qu’on a fait.
Mais en fait, c’est quelque chose qui valorise Pirou Pont. Pirou est grand : 2913 hectares, 1500 habitants l’hiver, 4000 à 5000 l’été, 6 km de plage, 300 hectares de forêt, et cetera. Mais là, le Pont, c’est le centre administratif. De l’autre côté, nous avons le Château et ce parc-là, c’est un lien qui est fort entre les 2 et c’est très agréable. Et il y a des vieux bâtiments pas très loin. Au fil des ans, on les a rachetés. On va y faire une médiathèque. C’est près de l’école, c’est près du centre de loisirs. Et ça redonne une vie culturelle, naturelle autre à Pirou. Et on n’a pas que la vie de la plage. Et de façon que tous les habitants de Pirou, les enfants en particulier en profitent, mais aussi les touristes. Bon, je m’arrête là, si vous avez des questions, on essaiera d’y répondre.
Marie Atinault
Merci beaucoup, je vais passer tout de suite la parole à Madame Lemoine, présidente de l’Union régionale des CAUE normands.
Martine Lemoine, présidente de l’Union régionale des CAUE normands
Merci et à vous. Déjà merci Madame le Maire de nous accueillir à Pirou et de nous avoir fait partager effectivement cet espace. Je crois que ça aura permis aux équipes des CAUE normands d’échanger, de partager leurs expériences. Et bien sûr, en priorité, on a partagé la vôtre et de se ressourcer en même temps parce qu’effectivement le lieu s’y prête merveilleusement bien. Donc merci encore de votre accueil ici à Pirou.
Vous dire à chacune et à chacun que bien évidemment, aujourd’hui, c’était la journée de notre Assemblée générale de l’Union régionale des CAUE. Et que dans ce cadre-là, et bien évidemment nous vous proposons de poursuivre via la table ronde qui va se dérouler maintenant. Donc bonne écoute. Partagez bien ce qui vous sera dit et n’hésitez pas. C’est vraiment un temps d’échange et de partage.
Marie Atinault
Merci beaucoup à l’une et à l’autre, pour vos mots d’introduction et notamment Madame le Maire, parce qu’on sent la passion qui vous anime dans la gestion et dans l’évolution de votre territoire. Et c’est toujours important aussi de sentir que nos élus sont attentifs aussi à la mission qui leur est confiée et à la manière dont on peut faire évoluer par des projets le territoire. En tout cas, je note que le que le travail mené avec nos experts, permet à Pirou d’être en tête d’affiche en région parisienne. Alors ça, c’est quand même… Exceptionnel. Il faut faire des petits parce que ça pourrait faire des envieux, je pense, dans d’autres territoires ruraux de la Manche et d’ailleurs.
Le thème de notre table ronde de ce soir, c’est “Comment faire avec le déjà-là ?”
C’est une question qu’on vous pose. Ce n’est pas une affirmation, c’est une question. Comment finalement imaginer dessiner, aménager l’espace en s’appuyant sur l’existant ? Comment faire avec et non contre ce qu’offre naturellement, l’environnement ? Ici peut être un vieil arbre tordu mais sublime. Comment faire avec une courbe dans le paysage ? Avec une population parfois de caractère, avec des compétences locales ? Pour le dire autrement, comment opérer une petite révolution dans l’écosystème des métiers du paysage au profit d’une approche beaucoup plus intégratrice ? Où finalement, le simple et le beau reviennent au cœur de certaines utopies rustiques.
Tel est le thème que nous allons devoir explorer ensemble ce soir et j’aurai le grand plaisir de l’animer à vos côtés. Et ce thème, nous allons non seulement l’explorer mais nous allons aussi le jardiner ensemble puisque je crois que, en vous écoutant, en préparant cette table ronde, que tout s’invente au fur et à mesure du travail.
À nos côtés pour explorer ce sujet. Quatre experts du jardin, mais pas du jardin d’aujourd’hui, du jardin de demain, puisqu’ils sont en train d’inventer, de réinventer leur métier.
Je commence parFrançois Roumet, enseignant à l’École nationale du paysage de Versailles. Vous êtes notamment responsable du département écologie au sein de l’école, paysagiste concepteur co-auteur de l’ouvrage “Utopie rustique” dont nous allons parler dans quelques instants.
À vos côtés,Camille Fréchou, enseignante jardinière indépendante, vous aviez insisté, et coautrice de l’ouvrage Utopie Rustique.
Camille Fréchou
On était dans la même promo ? C’est peut-être pour ça…
Marie Atinault
Thibaut Guézais, vous êtes paysagiste au sein de l’agence, dont vous êtes président, Novascape. Maître d’œuvre de l’aménagement du parc de Pirou.
Et Marc Vatinel, paysagiste également, maître artisan au sein de l’atelier le Pré Carré. Et vous êtes aussi dans l’équipe de maîtrise d’œuvre de l’aménagement du parc de Pirou.
Alors on s’était promis ce soir qu’on allait parler du “Comment faire avec le déjà-là ?”. On allait aussi parler de cet ouvrage qui fait couler beaucoup d’encre. Qui donc porte le nom de “Utopie rustique” qu’on aura le plaisir de découvrir je crois en début d’année prochaine.
François Roumet
On aurait dû l’avoir mais on ne l’a pas encore. L’éditeur tarde un petit peu à sortir cet ouvrage.
Marie Atinault
C’est un ouvrage collectif, c’est ça aussi qui fait son charme. Si je ne dis pas de bêtises, d’une vingtaine d’auteurs, donc rien que dans la méthode, il est collectif et il invite d’ailleurs au travail collectif.
Et c’est intéressant parce qu’alors si je n’ai pas pu découvrir le livre puisqu’il n’est pas encore sorti, j’ai pu voir néanmoins son sommaire et ses grandes têtes de chapitre. Et on y voit que finalement, on y découvre plutôt qu’une leçon, une méthode de travail pour imaginer le jardin de demain et alors des jardins qui sont complètement différents finalement des jardins qu’on a l’habitude de promouvoir en France. Surtout ce qui vous anime, c’est surtout d’essayer d’inventer des jardins où finalement on essaie de faire abstraction de cette notion d’abondance et on essaie de prendre en compte le fait que les ressources deviennent rares et que l’environnement qui nous entoure est en train de changer.
François Roumet
Oui, c’est exactement ça mais on commence déjà par regarder ce qu’il y a sur place. Parce que “comment faire avec le déjà-là”, il faut commencer par le lire, le comprendre. Faut commencer par passer du temps avec les gens, avec Madame le Maire, avec d’autres élus avec d’autres associations qui sont sur place reconnaître le site et donc le regarder, le dessiner, s’en imprégner, en parler, chercher des documents. C’est à partir de là qu’on peut travailler et qu’on peut se projeter. Et je ne suis pas tout à fait d’accord, on présente un certain nombre de lieux qui ont été produits. Ce sont des parcs, ce sont des jardins, ce sont des cours, des cours d’immeubles. C’est très classique, y a des fleurs, y a des arbres. Y a cette notion d’abondance et de générosité pareil.
Bon ce n’est peut-être pas organisé tout à fait comme dans les bouquins, mais c’est ça reste des lieux très agréables et très humains, surtout très humains.
Marie Atinault
Et alors, dans la préface de ce livre, que vous prétendez même être un manifeste, j’y ai vu apparaître ce mot de manifeste. Vous nous expliquez qu’il faut agir ici et maintenant, quelle est cette intention ?
François Roumet
Agir, c’est à dire on agit vraiment avec le local, avec ce qu’il y a sur place, avec ce qui est là vraiment, sous nos mains, sous nos pieds. Et on agit de manière économique et écologie, c’est la même racine en grec. C’est le mot maison. Donc l’économie de la maison, l’économie du lieu, c’est pareil. Et on est complètement dans cette idée-là, de de faire avec économie, en n’usant pas de matériaux extraordinaires. L’extraordinaire ce sont les savoir-faire qui seront amenés et qui seront croisés, qui vont se rencontrer, qui vont se découvrir. Quand on construit un belvédère, quand on organise une gestion forestière, ou quand on décompacte un lieu pour lui redonner de la vie et faire revenir justement des fleurs là où on ne les attendait pas.
Donc ici, maintenant ou demain, on essaie de faire en sorte que ce qui était utopique, ce qui était a priori irréalisable, le tas de cailloux redevienne quelque chose de vivant.
On essaie de ramener la vie et la faire s’exprimer là où elle est potentiellement. Parce qu’elle est un peu partout. Enfin sous nos latitudes et à nos altitudes. Évidemment, si on était en haut du Mont-Blanc, ça ne serait pas pareil. Mais là si on prend la carte des exemples qu’on développe, on est dans la France métropolitaine où il n’y a pas de problème. Où il y a de l’eau, du soleil, tout va bien.
Marie Atinault
Pour l’instant.
Ma question suivante peut s’adresser à l’un ou à l’autre de vous deux, puisque vous êtes co-auteur de cet ouvrage, avec d’autres, et du coup je m’intéresse aussi à ce choix que vous avez fait d’utiliser ce terme de rusticité. On en avait discuté. On l’entend beaucoup, c’est un terme très galvaudé. Aujourd’hui on entend beaucoup parler de la frugalité qui est un terme aussi utilisé par certains, notamment les architectes. Un métier que vous connaissez bien aussi. Alors pourquoi le choix finalement du terme de rusticité ?
Camille Fréchou
Je vais passer le micro pour queFrançois raconte, parce c’est vrai qu’avant qu’on en parle et qu’on le mette sur la table, ce n’est pas un mot que j’utilisais moi forcément. Meryl non plus, je pense. Mais c’est intéressant, parce que finalement de l’avoir remis, de l’avoir ramené sur la table, comme ça, il s’est trouvé être très adapté. Et donc c’est pour ça que je vais te laisser le définir.
François Roumet
Ça reprend peut-être un peu ce que vous disiez tout à l’heure “Des jardins qu’on n’a pas l’habitude de voir”, ça renvoie au départ rustique, un peu rugueux, un peu rêche. Mais en fait, c’est très fonctionnel. C’est comme un manche d’outil qui est complètement adapté à la main, qui est lisse et qu’on tient bien et pour laquelle on a pas mal à la main. Donc ce sont des espaces dans lesquels on se sent bien, très simplement et qui sont aussi économiques et qui vivent par tous les temps, puisque le changement climatique va les affecter. Mais je pense qu’ils sauront mieux résister que des espaces beaucoup plus sophistiqués, s’il y a une un problème d’eau, si l’eau est coupée, ça tombera. Les espaces qu’on montre, qu’on décrit tiendront beaucoup mieux le choc, parce qu’ils sont pauvres et donc les plantes se sont installées dans cette sobriété, dans cette rusticité, elles seront adaptées, elles auront développé des systèmes racinaires qui leur permettra d’encaisser mieux les changements qu’on peut avoir. Les différences de température qui surgissent tout d’un coup, puis après des trombes d’eau qui viennent. Parce que le milieu sera devenu poreux, parce que les racines seront allées profondément, l’eau pourra s’infiltrer. Donc ce sont des lieux qui vont retrouver une certaine sophistication dans leur fonctionnement tout en étant très plastique. Mais ça faisait mieux de dire utopie rustique que plastique.
Marie Atinault
Effectivement, le choix été bon.
François Roumet
Et ça renvoie aussi à des savoir-faire qu’on retrouve. On parle du plessage par exemple : plier des bras de noisetier, d’orme ou de frêne. Ce sont des techniques paysannes déjà été utilisées par le passé. Donc ce mot rustique renvoie à ces savoir-faire paysans ordinaires, vulgaires. Et c’est ceux-là qu’on utilise parce qu’ils sont manuels.
Marie Atinault
C’est autant dans le choix des essences et des espèces que finalement dans la méthode de travail et le choix des savoir-faire.
Camille Fréchou
Oui puis dans ce que tu dis aussi, c’est qu’il y a ce côté réparable. C’est vrai, si on se positionne du point de vue de l’objet, parce qu’on dit une plante rustique mais il y a aussi une construction ou un enfin un artefact rustique comme ça. C’est aussi quelque chose qu’on est capable soit de fabriquer soi-même, soit de faire à la forme de sa main. Tu parlais d’un manche, d’un outil, mais c’est aussi la notion de réparable. Enfin, je pense dans tous les aménagements et les techniques qui sont mises en œuvre, ce sont des choses qui sortent d’une forme d’obsolescence aussi, pour utiliser des gros mots. Mais c’est pour ça que moi, j’ai attaché aussi la notion de bricolage qui est un mot que peut-être je l’utilisais plus, mais il a été très déprécié. Mais il y a cette idée aussi de pouvoir improviser en fait, avec des choses qu’on a sous la main. Et toujours cette idée de réparer en fait, et puis d’ajuster d’être dans du sur mesure. Donc peut-être que j’extrapole un peu le mot rustique, mais il y avait cette idée-là aussi du sur mesure en fait qui est quelque chose de très précieux et qui est fait avec les matériaux et les savoir-faire et la météo de l’instant.
Marie Atinault
Dans cet ouvrage, j’ai aussi l’impression que vous insistez beaucoup sur l’importance d’une étape qui m’a l’air décisive, c’est celle de l’état des lieux quand vous appréhendez un nouvel espace à jardiner, à aménager. Qu’est-ce qu’on y trouve en fait dans cet état des lieux ?
Camille Fréchou
Ben je vais laisser parler mon vieux prof.
(Rires dans le public)
François Roumet
Tu peux dire prof, tout court, vieux, non… voilà ton aîné.
État des lieux, c’est ce que je disais tout à l’heure, c’est reconnaître ce qu’on a sur place. Et c’est ce qu’on enseigne aussi aux étudiants. C’est regarder. Et une des manières de regarder un lieu, c’est de le dessiner, parce qu’il faut commencer par s’asseoir ou rester debout, mais rester tranquille, un peu à l’écoute. Comprendre d’où vient le vent. C’est quoi ce terrain ? Qu’est-ce que c’est que cet arbre ? Comment il est positionné ? Donc l’état des lieux c’est rentré dans le site, mais rentrer pas seulement physiquement, rentrer par la tête être présent dans le site et le ressentir fortement. C’est quelque chose à la fois de très simple mais très humble finalement, et on redevient soi-même. Humble parce que, quand on est en train de le regarder, quand on est en train de dessiner, on n’est rien et n’importe quel passant pourrait dire mais qu’est-ce que tu dessines là, ça ne vaut pas grand-chose. Oui mais on s’en fout de la maladresse. Ce qui est important, c’est ce qu’on comprend du lieu et ce qu’on arrive à en sortir. C’est peut-être un détail et c’est peut-être un rapport de lumière, c’est peut-être une proportion qui est intéressante.
L’état des lieux, c’est être présent sur le site. C’est presque spirituel finalement, mais on ne le dit jamais aux étudiants, on ne le dit jamais aux gens comme ça. Je le dis là parce que c’est ce soir, mais parce que là je suis obligé de prendre du recul, mais finalement, c’est ça on est avec le lieu.
Marie Atinault
Je sens Marc que veut vous réagir.
Marc Vatinel
Oui je suis complètement d’accord avec toi. L’état des lieux c’est pas du tout la même expression que quand on fait l’état des lieux d’un appartement. C’est plus compliqué que ça effectivement. Et c’est beaucoup de silence, beaucoup de non vu. C’est compliquer à faire un état des lieux en fait, c’est pour ça que tu parlais d’humilité, c’est à dire qu’en fait, ce n’est pas simple, c’est aussi d’essayer de deviner l’inaudible, l’invisible. On parle d’état des lieux. Ça sous-entend que dans un lieu, il y a déjà plusieurs lieux. C’est vrai que c’est de l’écoute. Faut deviner ce qui se passe. Si on arrive en hiver, faut deviner ce qui peut se passer en été. Faut comprendre la sécheresse qui a eu lieu il y a deux ans. Il y a pas mal de choses et c’est vrai que c’est compliqué et c’est indispensable effectivement.
Marie Atinault
Donc c’est aussi bien sur le matériel que sur l’immatériel finalement. C’est un état des lieux global de ce que vous voyez, de ce que vous ressentez, de ce qui est là à l’instant présent ou pas.
François Roumet
C’est pour ça que c’est important de parler avec des gens qui le fréquentent parce qu’ils ont une vision. Les gens qui habitent autour voient le lieu de leur porte et savoir leur vision, c’est aussi intéressant et c’est important parce que nous on va le voir à un moment donné, comme on est là aujourd’hui. Mais hier ce n’était pas pareil, ce que tu disais, ils ont une mémoire du site et pas la mémoire du site.
Marie Atinault
Nous allons revenir sur ce sujet du collectif et de la manière dont vous travaillez avec les habitants, parce que c’était quand même au cœur du sujet du “déjà-là” finalement.
Ce que je vous propose, c’est de regarder quelques images finalement pour présenter un peu cet ouvrage qui arrive dans quelques semaines. Si les auteurs me donnent le feu vert ?
Texte extrait de la vidéo “UTOPIES RUSTIQUES (paysages et jardins en chantier)” Dussiecle, source www.youtube.com/@DussDussiecle
“Utopie rustique est un manifeste pour de nouvelles manières de fabriquer le paysage.
Il prend acte des bouleversements écologiques et sociaux contemporains. Chez les paysagistes comme ailleurs, il est plus que jamais nécessaire de parler d’expérimentation, de recherche pour rajeunir le monde de l’aménagement.
En prendre le contrepied pour transformer des lieux et leur donner de nouveaux.
En germe depuis 30 ans, au département écologie de l’École nationale supérieure de paysage de Versailles, l’ouvrage s’est nourri de nombreux ateliers pédagogiques au fil des ans. Une phrase résume cette approche, “conduire le vivant, le droit à l’erreur”.
Une partie de la génération formée par ses enseignements s’est appropriée à son tour cette vision du paysage.
Des projets nourrissent ce courant engagé à la fois naturaliste, technique, artistique et politique.
Nous y parlons de l’économie, des moyens, faire peu avec les ressources que l’on a sous la main, développer le provisoire, croire au léger, se regrouper en collectif de travail complémentaire, fabriquer collectivement des espaces publics où le mot commun à un nouveau sens, recenser avec soin les ressources qu’offrent tous les sites pour préparer un avenir robuste et durable, modeste et beau. Dix-sept expériences vécues composent les utopies rustiques. Cet ouvrage collectif raconte ses histoires en trois chapitres, les ferments historiques, les expériences ressources, les créations porteuses d’espoir et les faits dialoguer entre elles.
La famille professionnelle à l’origine de cet ouvrage, regroupe une vingtaine d’auteurs.
Beaucoup d’entre nous sont paysagistes, parfois réunis en collectif de travail,
Professionnels en activité, enseignants, retraités ou encore en formation, nous sommes rejoints dans l’écriture par des bénévoles, des amis embarqués dans ces dynamiques en chantier. La parution de l’ouvrage conclut huit années de recherche et d’échange de pratiques, d’écriture collective et de rencontres, d’enquêtes et de documentations minutieuses.”
Camille Fréchou
Je vais dire ce que ça m’évoque. Mais je pense que tu pourrais aussi dire la même chose Thibault. Pour nous, c’était un atelier qu’on avait à l’école. C’était l’atelier 3 et qui s’appelait “Conduire le vivant” et le sous-titre, c’était “le droit à l’erreur”. C’était finalement notre premier atelier de projet, où on faisait cet aller-retour entre l’atelier, la table à dessin et puis le terrain ? Et où en fait, ce qu’on vient de vous raconter sur la question de l’état des lieux, sur la lecture d’un site, tout ce travail-là qui est déjà de la conception en fait. Parce que dans ce qu’il vous disait aussi sur la forme de sensibilité particulière, il y a déjà une subjectivité, il y a déjà une accroche avec ce qui est déjà-là très forte. Et donc on apprenait ça en fait à faire un état des lieux, soigné, fourni et puis à dessiner un espace et puis à y retourner, à se mettre en chantier, à tirer des leçons aussi. C’était il y a longtemps, toi tu continues à faire cet atelier. Mais dans mon souvenir en tout cas, on se permettait de dessiner, de revenir sur le terrain, de faire un rebond pour avoir une lecture critique sur ce qu’on avait dessiné, et puis aussi de tester des choses en chantier. Je pense que le prof le raconterait vachement mieux que moi, mais en tout cas nous, ça a été déterminant en tant qu’étudiantes parce que en fait, on comprenait aussi que cette étape de terrain était une continuité directe et faisait part entière du travail de conception. Si on prend des marchés classiques, on se retrouve très vite à avoir scindé d’un côté cette part de dessin de conception qu’on peut avoir en en a tenu en bureau et puis après ensuite la mise en chantier.
Donc cette question du droit à l’erreur nous apprenait à pas scinder ces deux phases là, à faire des allers-retours et puis aussi, je ne sais pas si je raconte bien le droit à l’erreur mais en fait, c’est se dire qu’il faut expérimenter, il faut essayer. En en fait, il faut faire. Il faut se confronter aussi à l’espace, à la matière pour pouvoir s’affûter comme un bon couteau.
François Roumet
Un peu une citation d’un médecin qui disait que la marche, c’est une suite de déséquilibres. Et quand on marche, finalement on fait un pas, on se met en déséquilibre et on se rattrape. Et quand on travaille avec des étudiants, parce que tout est parti de travaux avec des étudiants avant de passer dans des projets, on va dire professionnels ou d’animation tels qu’ils sont décrits dans le bouquin. Donc quand on travaille avec des étudiants, on fait avec leurs erreurs et qu’ils fassent des erreurs et on en fait tous ce n’est absolument pas grave. Ils sont là pour faire des erreurs. L’essentiel, c’est de comprendre et qu’ils comprennent et que nous comprenions avec eux où sont les erreurs et que nous puissions ensemble rebondir dessus et les corriger. Et hop, on avance comme ça. Bon, ça dandine un peu au début. Et puis progressivement, on a une démarche cohérente et on arrive à un but.
Donc le droit à l’erreur c’est accepter, c’est se mettre là aussi dans une position humble, de se reconnaître et reconnaître les autres pour ce qu’ils sont, mais aussi pour leur capacité à se dépasser.
Marie Atinault
Et toujours dans cette notion du d’humilité. Vous m’avez tous les deux, d’une manière différente, mais plus ou moins dit la même chose, vous m’avez dit qu’en fait, on n’a pas la prétention de faire des choses qui sont éternelles.
Camille Fréchou
On aimerait bien.
Mais du coup, je rebondis sur le droit à l’erreur, mais c’est lier, c’est que toi, tu le vois comme quelque chose que tu nous donnais quand on était étudiant. Mais moi, c’est une très grande leçon aussi qu’on a dans notre pratique de projet. Et donc, est-ce qu’on fait des choses éternelles ? Ça je ne sais pas, mais en tout cas ça forge une certaine humilité de travailler avec le vivant. C’est à dire qu’il faut maîtriser beaucoup de choses qu’on ne maîtrise finalement pas complètement. Enfin, cette question de travailler avec des plantes, avec un climat, avec un sol, ça fait qu’on ne maîtrise pas tout. Souvent en plus, une fois qu’on a fait le projet, si on a de la chance, on peut revenir plusieurs fois pour assurer un suivi. Mais finalement, et c’est ça qui est super, c’est qu’on doit passer le relais à un ou une jardinière après. Et donc de fait, il y a quelque chose qui nous échappe et c’est tant mieux. Il y a une transmission qui se fait. Et donc la question de l’éternité…
Marie Atinault
Finalement, vous négociez avec le vivant sans arrêt, c’est ça ? Vous négociez.
François Roumet
On n’a pas la prétention d’être des concepteurs avec un grand C, on est des concepteurs à un moment et on est des acteurs comme tout le monde. On est dedans parce qu’on a regardé le lieu et c’est aussi ça qui fait qu’on est dans le lieu et on est avec le lieu. Donc comme nous on ne fait que passer. Eh bien le lieu continuera après avec d’autres acteurs. C’est très bien quoi.
Marie Atinault
On entend bien cette notion de continuité qui est ressortie de nos échanges.
Je vais me tourner maintenant vers Thibault et Marc parce qu’évidemment on est à Pirou donc on va parler du parc du jargon des oies.
On va parler aussi des oies, forcément. Impossible de parler du parc sans parler des oies. Mais avant qu’on vous présente quelques très belles images du parc et de sa conception. Est-ce que vous pourriez, même si Madame le Maire est déjà revenue plus ou moins sur la manière dont ce projet est arrivé. Mais l’un et l’autre, ou l’un ou l’autre, comment ce projet est arrivé jusqu’à vous ? Et aussi quel a été à un moment donné le rôle clé du CAUE de la Manche aussi pour faire en sorte que ce projet soit un peu différent d’un autre.
Thibaut Guézais
En tout cas bonsoir à tous, merci d’être présents ce soir pour cet échange.
Donc moi-même et Marc Vatinel et le reste des membres du groupement, donc on a répondu à une consultation de maîtrise d’œuvre avec une consultation qui était un peu particulière, qui avait été co-élaborée notamment avec l’assistance du CAUE de la Manche. Et donc cette aventure nous a permis d’engager à la fois un projet de maîtrise d’œuvre un peu classique où on sollicite un maître d’œuvre comme un architecte pour construire une maison, qui va avoir une mission un peu de conception et de suivi. Et puis aussi des missions complémentaires qui étaient un éventail de potentielles mobilisations que la collectivité pouvait activer et qui nous a permis de faire évoluer tout au long des quatre ans de contractualisation qu’on avait avec la commune. De pouvoir réajuster à chaque fois la trajectoire du projet et d’engager à la fois des ateliers chantiers avec les services techniques pour échanger sur des questions du savoir-faire. De pouvoir organiser des ateliers avec l’école de Pirou. D’accueillir des étudiants du BTS Coutances Nature. De faire de la cueillette et de la cuisine dans ce parc et de se régaler de petits beignets de fenouil et de consoude. Donc voilà, oui, ça a été une trajectoire, on va dire, continue mais je ne vais pas trouver le mot mais…
Marc Vatinel
Une présence.
L’idée ? Je ne sais pas…
Marie Atinault
Sur l’origine du projet, sur la manière dont il est arrivé finalement jusqu’à vous pour qu’il vous amène jusqu’à Pirou pour faire cette très belle réalisation qui est à nos côtés.
Marc Vatinel
J’ai travaillé aussi avec Thibault, on en avait parlé un peu au préalable. L’idée c’était d’être présent le plus possible, de faire des vraies sessions. Donc on était présent. C’étaient des sessions d’une semaine à chaque fois, de manière à prendre le temps de mesurer la météo, de rencontrer les gens. Parce qu’un tel ne travaille pas le mercredi, on le verra ou mardi ou jeudi, ce n’est pas grave. Enfin on était là, ça c’était vraiment important, d’observer, de faire effectivement un état des lieux, d’observer la manière dont les gens vivaient le parc, ou ne le vivaient pas aussi. C’est intéressant. Les gens qui ne vont pas sur un espace, faut essayer de deviner pourquoi.
Donc cette manière de travailler finalement avec la commune de Pirou aussi, qui était partante pour une aventure. Parce que c’était quand même une vraie aventure. Ce n’était pas banal, pas commun. Et c’était l’idée aussi d’un travail d’équipe avec les allers-retours avec le service technique, les habitants, on voulait vraiment mélanger, se rencontrer à beaucoup pour prendre un maximum d’informations et prendre le temps de faire les choses. Ça, ça nous semblait vraiment crucial. C’est tout.
Marie Atinault
Alors j’ai vu aussi cette dans cette manière d’associer aussi les habitants, futurs usagers qui étaient là avant vous, qui seront là forcément après, qui vivent le lieu et tout ce qui entoure le lieu. Tout au long de l’année, il y avait ces fameux workshops, que vous avez animé avec des thèmes au fil des saisons, et cetera. Est-ce que vous avez senti d’emblée les habitants de Pirou participer à ces temps forts ? Est-ce que finalement c’est la curiosité qui a réussi à emballer les habitants pour les faire venir au fur et à mesure ? Voilà comment s’est fait cette accroche ?
Marc Vatinel
L’idée déjà au début c’était de mettre au courant les gens et on se demandait à un moment, on s’est dit qu’est-ce qu’on fait ? Est ce qu’on passe par Facebook et tout ça ? Et on s’est dit, on va essayer d’être plus rapide que Facebook, c’est à dire on va faire parler finalement les cancans tout simplement.
Marie Atinault
Pour les faire jaser.
Marc Vatinel
On a décidé de fabriquer des grands objets qui ne servaient à rien, qui pour nous ressembler aux oies, ou faisaient mention de la légende des oies, du Château de Pirou et de jalonner l’espace. Alors ça parlait aussi du cheminement de l’eau depuis la parcelle jusqu’à la mer et on jalonnait l’espace de ces grands objets et il fallait vraiment qu’on voit, que ça ne sert à rien du tout. Et un objet qui ne sert à rien, forcément, ça fait jaser. Ça nous faisait plaisir de faire jaser aussi.
Et on a commencé le matin. Le soir même, tout pirou était au courant qu’il se passait quelque chose. Et ça nous plaisait en ça. C’était une manière de publicité, de rendre publique une action. On ne savait pas où on allait, mais on savait que voilà, on mouillait le maillot et on y allait.
Marie Atinault
Ils sont taquins, vous remarquez. Et alors effectivement, donc vous avez été plus vite que Facebook. Ça, bravo, il faut le faire. Mais si j’ai bien compris en fait, le fait d’implanter ces oies, ça vous a apporté aussi des éléments de compréhension de comment fonctionne l’endroit ?
Marc Vatinel
Oui c’est ça. Alors déjà sur le climat, parce qu’on a fabriqué, alors c’est ce qu’on appelle nos oies là, avec des becs en double couche de zinc bien vissé et bien riftés bien costauds. Et nos becs d’oie se sont fait lacérer, déchirer, déchiqueter par le vent très vite, donc ça nous a donné le ton un peu du climat. Thibault et moi, on venait du Havre, c’est une ville où il y a de l’air aussi. Enfin voilà. Mais là il y avait encore plus d’air à Pirou donc on s’est dit bon, va falloir qu’on fasse avec de temps en temps le vent, voilà et c’était très bien. Et ne serait-ce que dans l’implantation aussi parce que dans l’implantation de ces oies qu’on fichait en terre avec des fiches métalliques, comme ça, évidemment, il n’y avait pas de fondation ni quoi que ce soit. Parfois on avait un sol qui s’enfonçait tout seul, on posait le louchet, ça s’enfonçait. Et de temps en temps on tombait sur une roche qui était à quatre centimètres de couche de terre arable à tout casser. Ça nous donnait très vite des informations sur le vent, sur le sol, sur pas mal de choses en fait et sur les gens.
Marie Atinault
Et donc ça, ça contribue évidemment à ce fameux état des lieux dont on parlait tout à l’heure, qui est un moment décisif, en tout cas préalable à toute réflexion sur la l’aménagement, même si je n’aime pas beaucoup ce terme là, sur le ménagement de l’endroit, sur sa manière de le dessiner.
François Roumet
Ce qui est intéressant et, c’est vrai, vous avez raison d’insister là-dessus, c’est que l’état des lieux se fait tout le temps et c’est ce qu’a ditCamille. Mais il se fait, on lance des balles, ça revient. Et à nous de les relancer ou d’en relancer plusieurs, ou de la garder, de la poser et de relancer autre chose. Donc oui, c’est la même chose, c’est exactement la même démarche. Alors avec ce lieu à côté ou avec d’autres, on a des résultats différents et complètement inattendus. Et c’est en faisant ça qu’on expérimente et qu’on redécouvre le lieu avec un nouveau regard, inattendu.
Marie Atinault
Et alors notamment sur ce lieu particulier, on a parlé du vent, vous avez parlé de l’eau qui est évidemment omniprésente ici, il y a aussi la flore. Quand on n’est pas un spécialiste, on pourrait se dire qu’il n’y a rien ici. Alors qu’en fait, quand on regarde bien, finalement, tout est là, tout est déjà-là. Alors comment on arrive à se distinguer finalement dans vos métiers ? Mais soit c’était déjà à l’origine, dans la manière dont vous avez créé votre activité ? Ou est-ce que c’est venu au fil de l’eau ? Comment on s’approprie finalement ce vivant, cette banque de graines qui existe dans le sol naturellement ? On explique aux gens qu’on va faire avec ce qui est là plutôt que de ramener des plantes exotiques, exogènes. Comment on arrive à convaincre que tout est là ? Ou presque tout ?
Thibaut Guézais
Alors une petite nuance, tout n’est pas là et tout dépend aussi finalement de quelle latitude on laisse au vivant de s’exprimer. Donc quand on est arrivé on était plutôt sur une prairie de fauche. Qui était fauchée je pense dès le mois de juin-mai. Donc on n’avait pas forcément une expression avec un cortège floristique qui était vraiment très riche. Un des sujets a été aussi de laisser le vivant s’exprimer pour montrer un peu ses qualités. Lui laisser l’opportunité d’aller au bout de ses floraisons, qu’on ne soit pas obligé d’intervenir trop rapidement pour mieux évaluer ce cortège-là. Je reste paysagiste, mais je ne suis pas naturaliste ni botaniste, donc on s’est fait accompagner du naturaliste Peter Stallegger qui était aussi nos yeux pour mieux identifier justement la spécificité de tous les milieux qui étaient présents, notamment au niveau de toute la faune. Donc suivre Peter les yeux fermés c’est hyper intéressant parce qu’il sait d’un coup révélé aussi un paysage sonore et habité que sans être éduqué justement à cette connaissance, et bien on ne perçoit pas. Donc c’est la même chose aussi pour le végétal, si on n’a pas ce regard éduqué c’est difficile en fait de le considérer. Donc c’est à la fois considérer la plante, mais aussi considérer la plante dans son cycle végétatif et la comprendre dans son environnement. Et pour revenir à la question du droit à l’erreur qui a été évoquée précédemment, c’est le fait que le vivant il se renouvelle et il nous autorise à faire des erreurs. Et vu qu’on a la possibilité à la saison prochaine de se rattraper et de faire mieux. C’est en ça que c’est intéressant.
Juste une petite anecdote aussi. À un moment quand on s’est amusé, on a fait beaucoup de paillage pour engager des plantations sur toute une lisière du parc. Du coup, en faisant venir du paillage qui servait à pailler les carottes des maraîchers de Créances ou de Pirou, et bien on a embarqué tout un cortège de plantes qui s’essaimaient dans les dunes et donc qu’on a embarquées avec nous en prenant ce paillage. Donc voilà, vous avez aussi ici à droite des aquilées qui sont plutôt des plantes dunaires, mais qui ont été transportés et qui sont venus jusqu’ici par notre action, mais ce n’était pas voulu initialement.
Marc Vatinel
Oui, puis fort de ça donc on voit ces aquilées, elles changeaient de couleur en fait elles allaient du rose au blanc, elles étaient magnifiques, elles sont venues par milliers, donc on ne les a pas toutes gardées mais on les a plutôt gardées. Sachant qu’elles sont dans un endroit qui est amené à s’ombrager, elles vont disparaître petit à petit ou déménager. Et c’est donc aux jardiniers en place aujourd’hui de les reconnaître, de les encourager ou de les décourager, de jouer avec, d’écouter les gens dire “j’aime”, “j’aime pas”, “je suis allergique”, “est-ce que je peux faire un bouquet pour mamie ?” Enfin voilà, tout va bien et donc c’est aux jardiniers en place aujourd’hui de gérer aussi ce type de population et en tout cas d’avoir forcément un œil bienveillant sur le végétal quel qu’il soit. On ne désherbe pas si on si on reconnaît pas, alors d’abord on identifie, ensuite on choisit, on laisse le temps, on se laisse le temps, on laisse le temps à la plante aussi. Je veux dire, une ortie n’est pas systématiquement gênante. Voilà on peut faire du très bon pesto avec les jeunes feuilles d’orties. Donc voilà il ne faut pas faut pas se s’évertuer à enlever systématiquement toutes les orties. Et après c’est vraiment un jardinage et c’est en fonction des saisons et de l’évolution d’un parc.
Marie Atinault
Alors justement, comme on parle du jardinier, vous m’avez dit il y a quelques jours, finalement, c’est que c’est quand tout est fini que tout commence.
Marc Vatinel
Oui, c’est ça, c’est vraiment important. C’est souvent ce qui se passe dans les marchés publics. On termine un parc, on boit une coupinette de champagne, c’est fini, on s’en va, on a plus notre mot à dire, on ne sait même pas qui va jardiner le parc. C’est complètement dramatique, on ne sait pas qui va jardiner. Est-ce que c’est la commune ? Est-ce qu’il va y avoir un appel d’offre ? Est-ce que c’est une entreprise qui va être prise ? Est-ce que ça ne va pas être le moins-disant ? C’est souvent le cas. Enfin on ne sait pas ce que va devenir cet espace-là. Il ne s’agit pas de garder la mainmise sur, il s’agit de faire en sorte que le relais soit assuré. Et il ne s’agit pas ensuite de s’y connaître, il s’agit juste de s’y intéresser. Une personne qui prend en charge un espace, même si elle y connaît pas grand-chose, si elle est bienveillante, qu’elle écoute quelques conseils, c’est mieux que quelqu’un de diplômé qui n’est pas motivé.
Enfin voilà, avec Thibault, avec Madame la Maire, avec Monsieur Camus-Fafa, on a travaillé pour qu’une relève soit assurée.
Marie Atinault
Que la relève soit assurée c’est intéressant cette approche.
Alors peut-être pour le plaisir partager quelques très belles photos de ce parc. Notamment des photos qui montrent le travail que vous avez fait pour intégrer aussi des matériaux qu’on pourrait qualifier de rustiques. Même s’ils ne le sont pas, peut être au sens propre de la définition. Mais on trouve un effort à la fois dans la méthode : certains gros engins ont été utilisés, mais il y a quand beaucoup de travail à la main, je vous ai vu beaucoup les mains dans la terre et finalement assez peu d’engins pour le travail réalisé. Et ça, c’est du temps humain, et ça contribue aussi à l’adhésion de chacun. Beaucoup de fibres, beaucoup de bois, beaucoup de paillages. Je vous ai vu sur ces photos que vous pouvez voir derrière-moi, très belles, qui illustrent aussi cet effort de respecter le lieu en tout cas et d’arriver finalement à pas feutrés ou en disant on intègre des choses parce qu’on l’aménage mais finalement on le fait de manière assez sobre et assez rustique. Cette photo aussi évoque beaucoup ce que vous évoquiez tout à l’heure, la notion aussi d’amener les écoles, d’amener les habitants. Finalement, une fois que le parc est terminé alors il n’est pas terminé puisque vous me disiez tout à l’heure que c’est quand tout est terminé que ça commence. Mais est-ce que maintenant on voit une adhésion des habitants de Pirou au parc ? Est-ce qu’on arrive à mesurer de quelle manière ils se sont approprié l’espace nouvellement aménagé ou est-ce que c’est encore un peu tôt ?
Marc Vatinel
Je ne sais pas, je ne peux pas répondre à cette question. Mais tout à l’heure nous étions tous sur la terrasse, nous profitions du soleil et il y avait un cycliste habillé d’une manière très très professionnelle. Enfin je n’y connais rien, mais il était très impressionnant. Il avait un super vélo. Plutôt, je trouvé que ça ressemblait à un vélo de course. Ce n’était pas un VTT. Il sillonnait le parc, il s’entraînait pour, je ne sais pas quel sport où on court aussi avec son vélo sur l’épaule. Et il prenait les talus, la zone humide. Il n’arrêtait pas et rien que ça, c’est un usage. Enfin ça suffit, on peut faire un parc rien que pour ça. Je trouvais ça magnifique et c’était presque surréaliste, de le voir là, habillé avec la mode la plus design, il n’était pas en coton ou en velours. Il était habillé hyper aérodynamique tout ça et il sillonnait ce parc. C’était vraiment chouette. Ça c’était au premier plan, même s’il tournait toujours sur le parc, à un moment il y a eu une sortie d’école. Et les piou-pious qui sont partis au fond, là, qui sont passés évidemment aux jeux des oies quand même et puis après qui rentraient. Est-ce que ce n’est pas ça la naissance de l’usage d’un parc ?
Thibaut Guézais
Oui, juste pour compléter. Le fait qu’on est, dans notre mode d’intervention, fait une sorte de résidence-chantier, un peu comme des résidences d’artistes, sauf que là c’est une résidence-chantier où on vient intervenir sur un site. On se donnait comme obligation avec Marc de pouvoir restituer à chaque semaine un livrable et aussi le présenter. Donc c’était d’une manière l’occasion de faire une… célébration ? (…)
L’idée en tout cas c’est de faire un aller-retour régulier et permanent.
On parlait tout à l’heure du diagnostic, mais c’est de restaurer toujours un contrat, aussi bien nous avec les élus sur ce qu’on présente, mais aussi un contrat qui est à chaque fois renouvelé avec les habitants. On vous a présenté ça. Vous êtes contents ? On accueille au fur et à mesure de la construction du projet les retours sur un aménagement successif et c’est ce qui permet à chaque fois de réorienter la trajectoire du projet et du programme. Donc je pense que peut-être Monsieur Camus-Fafa et Madame le Maire seront plus à même de répondre sur la fréquentation. Mais je crois qu’on a de très bons échos.
Marie Atinault
En tout cas, je vois que vous travaillez aussi sur la notion du jardin qui se mange. Vous l’avez évoqué tout à l’heure. Un jardin, ça se sent, ça se regarde, ça s’observe et ça peut se manger aussi, donc c’est aussi intéressant de pouvoir inviter les habitants, les usagers à redécouvrir par ces temps sur le terrain que finalement dans un jardin on peut aussi découvrir de nouvelles saveurs. Et puis finalement, les oies, elles sont restées là, sous une autre forme. Elles ont réussi à s’implanter définitivement autour de autour de l’ère de l’aire de jeux.
Peut-être maintenant une série de questions pour chacun d’entre vous ?
Le micro retombe automatiquement dans la main de François. Peut-être parce que je vais poser une question justement sur les étudiants, c’est peut-être pour ça ?
Vous avez tous les quatre une approche, je trouve quand même, très novatrice du jardin. Si votre travail et votre chemin est en quête de rusticité, votre approche je trouve est quand même assez innovante.
Vous êtes aussi enseignant. Comment vos étudiants aujourd’hui reçoivent ces façons d’appréhender le jardin et le paysage ? Ils sont plutôt surpris ou curieux, enthousiastes ?
François Roumet
Les étudiants, c’est comme la plupart des gens, ce sont des gens bien, donc ils sont… Non mais je ne dis pas ça parce que j’étais encore avec eux ce matin et que j’y serai demain matin. Les jeunes on les critique beaucoup, mais ils ont aussi beaucoup à nous apprendre et leur esprit d’ouverture, il est vraiment très étonnant.
Quand on leur apprend à imaginer, à dessiner et à tester, et à planter, à cultiver, à faire avec les gens et à être maladroit et à accepter cette maladresse et à rebondir et à faire ces allers-retours, et bien ils aiment beaucoup. Parce que on leur donne l’occasion d’expérimenter et de faire leur propre chemin. Ça, ils adorent ça. Et les enseignements qu’on fait maintenant toutes mes sessions de cours, tous les groupes de cours sont basés sur des projets individuels où on a cette démarche. C’est très difficile à faire passer auprès de l’administration par contre, auprès des étudiants, ça va très bien parce qu’ils comprennent bien qu’ils ont l’occasion de se tester et de d’expérimenter.
Et ça, c’est vraiment la façon par lesquels on les emmène très loin et ils nous emmènent très loin. Parce qu’ils nous apprennent des choses sur eux, mais aussi ils nous font découvrir d’autres partis qu’on ignorait nous sur les lieux et même sur nous-même. Ils sont un peu chiants quoi, mais bon.
Ils nous remettent en cause. Les étudiants acceptent très bien. Mais c’est un peu le monde installé qui est beaucoup plus difficile à manœuvrer. On a à la sortie de l’école, des grosses agences qui souvent avale ces étudiants et qui vont les reformater. Et là on retombe durement quoi. Alors ce qu’on s’aperçoit progressivement, c’est que les jeunes qu’on forme avec par exemple l’atelier “Conduire le vivant” qui existe depuis seize ans, maintenant, ils vont de moins en moins dans les agences où ils y vont un petit peu pour gagner des sous. Puis après ils font leur propre chemin, ils font leur propre agence, ils font leur propre collectif et ils innovent à leur façon. Donc auprès des étudiants ça passe très bien cette démarche. Je suis optimiste.
Marie Atinault
Donc j’entends bien que tout le monde ne se laisser pas formater.
François Roumet
Surtout les vieux.
Marie Atinault
Je crois qu’il y a quelques jeunes qui ne se laissent pas formater là. En tout cas, ils se reformatent eux-mêmes.
Camille Fréchou
Moi aussi je suis enseignante, mais depuis moins longtemps que toi. En tout cas, c’est vrai que je ressens quand même une grande curiosité et puis moi-même, sans être aussi jeune qu’eux, il y a quand même une crise sociale, environnementale qui nous tombe dessus depuis les années 70. Et donc eux, c’est vrai ils se la prennent en pleine poire, il faut le dire. Et donc ils sont, je pense qu’ils sont curieux d’alternatives. Curieux, le mot est peut-être un peu faible, mais on sent quand même que ça les intéresse en fait tout ce qu’on raconte. Et je voulais revenir sur le fait que c’est une pratique du métier qui est innovante. Ce n’est pas trop le ressenti que j’ai, parce qu’en fait c’est vrai que nos professeurs, il y en a qui sont à la retraite depuis très longtemps en fait, et donc ce sont des gens qui travaillent comme ça dans ce sens-là depuis très longtemps. Je pense qu’ils ont ça pouvait être une traversée du désert à un moment donné et que en fait il se trouve que là maintenant tout ça fait écho à ces crises qu’on traverse et d’un coup ça a l’air d’être nouveau sorti du chapeau. Mais en vrai ça fait très longtemps. Ça convoque des savoir-faire et aussi c’est une école de pensée. Et voilà, si vous me voyez avec la déférence que j’ai pour mon ancien prof, ce n’est pas pour rien. Toi-même tu as eu des enseignants. Mais ce n’est pas de la fausse modestie, c’est parce que je trouve qu’il y a quelque chose comme ça, vraiment de la transmission, mâtiné d’humilité aussi, et puis de tenir quelque chose, de se transmettre depuis bien des années.
C’est chouette d’être paysagiste avec cette manière de faire à notre époque. Ça commence à être reconnu.
Marie Atinault
Merci pour ces réponses. Marc, vous souhaitez répondre ?
Marc Vatinel
Concernant le travail avec les étudiants, Thibault et moi, on a souvent des stagiaires. Et la manière dont on travaille, la manière dont on a travaillé aussi sur le parc du Pirou, ça a permis à ces stagiaires, je pense, d’apprendre beaucoup de choses.
Comme disait François, les étudiants nous apprennent des choses. Ils peuvent avoir une bonne idée. Et avec notre manière de travailler, la bonne idée, l’étudiant il l’a le matin, vingt-quatre heures après, elle est sur le terrain, construite, c’est fait. Et ça permet de faire avancer le dossier global. L’étudiant en question, j’ai en tête une photo de Claire quand on avait fini le petit pont en bois, là, qui est sur la droite. Une étudiante qui vit sa vie de paysagiste maintenant. Et elle était plus que fière. Elle avait construit un pont, voilà. Alors c’est un petit pont en bois, mais elle avait construit un pont. Elle avait réfléchi à la structure du pont. Ce pont-là qui avait une certaine portée, on l’avait construit avec une structure en sous-face qui reprenait certains pieds des oies qui avaient été cassées par le vent ou démontées. Et quand on avait lancé le chantier des oies, il y a quelques personnes qui n’étaient pas contentes de l’aventure. Madame la Maire avait écrit une lettre ouverte pour expliquer que un jour ces oies seraient récupérées. Le bois en l’occurrence. Pof, trois ans après on récupère le bois de ses oies qui aujourd’hui portent les passants qui traversent la rivière.
Et ça, ça avait été réfléchi avec Claire et voilà, c’était très simplement quelque chose qui marchait finalement. Une bonne idée. Et j’ai encore le visage de Claire qui était rayonnante.
Marie Atinault
Sa fierté d’avoir contribué à la réalisation de ce pont.
Je vais vous laisser le micro, Marc, parce qu’il y a une question qui me taraude, jardinier ou jardiniste ?
Marc Vatinel
Ah oui, jardiniste c’est un terme qui a été, je crois, inventé par un bonhomme qui n’avait pas besoin de travailler pour vivre, qui avaient des terres et un manoir et qui s’intéressait tout simplement à son territoire. Et il se demandait comment on pouvait savoir quelque chose, appliquer ce savoir dans le monde du jardin, en enlevant toute sensibilité et il trouvait que c’était impossible. Donc il fallait être un peu artiste. C’est lui qui finalement a lié le mot jardinier et le mot artiste.
Et je trouve que finalement quand on essaie de faire quelque chose, on jardine, on fait du mieux possible et plus ou moins instinctivement, on compose quand même. Et du coup, on est quelque part artiste et voilà. Moi je crois, c’est quelque chose que j’assume aussi. C’est le côté un peu conception, artiste effectivement, mais jardinier, donc jardiniste.
Marie Atinault
Très bien, ça me va très bien. Et ça correspond aussi au travail que vous avez fait sur les oies. Aussi une œuvre d’art, elle est posée là et elle provoque, et voilà.
Vous avez les uns et les autres, aborder le rôle déterminant finalement à long terme du jardinier qui est là et qui suit votre travail. Et vous l’avez dit tout à l’heure, finalement dans la manière dont sont conçus les marchés publics, finalement, il n’est pas prévu de permettre cet accompagnement au-delà.
Et alors si je pousse le fil encore un peu plus loin. Qu’est ce qui manque aujourd’hui dans cette manière dont les marchés publics sont ficelés ou montés pour pouvoir permettre une approche un peu plus innovante ? Comment on peut… ? Ne lançons pas le micro. Pas tout de suite.
François Roumet
C’est un débat qui me tient beaucoup et avec lequel je m’énerve beaucoup et je m’énerve beaucoup contre d’autres praticiens.
La loi n’a pas prévu, mais la loi n’a pas interdit. Et finalement, ce qui nous contraint le plus, ce sont des habitudes, des espèces de carcans d’habitudes qu’on se trimballe et dont on n’arrive pas à se débarrasser. La loi maîtrise d’ouvrage public n’interdit pas du tout à quelqu’un qui imagine un espace, qui le dessine, ne lui interdit pas du tout de passer à la réalisation avec le cantonnier du coin, avec une association ou avec des étudiants ou avec des élèves de l’école primaire.
La loi est très souple. Ceux qui nous dirigent, on fait des lois administratives et concurrentielles. Les principes de la loi, c’est toujours respecter la concurrence. À chaque étape, on doit toujours remettre les choses en concurrence. Mais à partir du moment où les choses sont très clairement établies et où la démarche est clairement annoncée et on sait qu’on va aller jusqu’à une réalisation et que les élus sont au courant de cette démarche et qu’ils l’acceptent parce que tout le monde ne l’accepte pas, mais s’ils ont la sagesse de l’accepter, il n’y a pas distorsion, il n’y a pas de biais par lequel on est à la fois entreprise de réalisation et concepteur. On est dans la continuité d’une œuvre, de la conception et de la réalisation d’un espace. Et donc la loi ne l’interdit pas. Simplement, il y a eu des habitudes, des schémas qui sont dans la tête, qui sont très difficiles à enlever.
Nous par exemple, quand on a réfléchi sur le manifeste, sur le l’article qui ouvre notre bouquin, on a travaillé avec une juriste qui nous a dit non, c’est bon, on est complètement dans l’esprit de la loi. À partir du moment où les choses sont clairement annoncées et on sait qu’il y aura une réalisation sous forme participative, et cetera, ou autre, et il n’y a pas d’interdit.
Thibaut Guézais
Sous réserve qu’il y ait une formulation qui soit clairement exprimée au début. Et toute la question en fait, c’est de sensibiliser l’ensemble des acteurs de la question de l’aménagement ou des commanditaires à cette question-là pour se dire, il existe différentes manières d’aborder la question du projet de paysage, pour pas dire l’aménagement. Et qu’il faut, voilà, s’autoriser à pouvoir ouvrir des voies qui paraissent les plus pertinentes au projet qu’on souhaite, ou en tout cas la démarche ou l’état d’esprit dans lequel on veut travailler.
François Roumet
Il faut que les choses soient clairement annoncées. La pire des choses, c’est de dire allez, on va engager une équipe pour faire un avant-projet. Puis après on engagera une autre équipe pour faire un projet, puis après on aura une des entreprises qui va réaliser… Ces saucissonnements là ce sont des pertes d’informations énormes et les gens à la fin ils ne savent même pas ce qui a été imaginé par les premiers ? Et tous les contacts sont perdus. Donc il faut arriver à convaincre les élus, quand ils sont les commanditaires ou les privés, quand ils sont les commanditaires, qu’il y a besoin d’une continuité, il faut faire confiance.
Alors ce n’est peut-être pas commencer sur l’ensemble d’un lieu qui est trop grand. C’est peut-être commencer par les petits bouts. Se tester mutuellement parce qu’il faut que ça marche. Enfin vous avez l’expérimentation. Faut pouvoir s’écouter mais on a des bons résultats. La preuve, elle est sous nos yeux.
Marie Atinault
J’ai entendu aussi François nous dire à l’instant, il faut faire confiance.
Alors je crois que c’est un terme très important puisque dans les collectivités, on a souvent l’habitude aussi d’essayer de serrer le cadre très très fort parce qu’on ne veut pas prendre de risques et ça peut se comprendre à plein d’égards. Mais il y a aussi une certaine limite pour pouvoir permettre de faire des choses qui soient belles et réussies avec une continuité aussi des différents intervenants. Il faut aussi desserrer le cadre et faire confiance. Et c’est là que le rôle des CAUE peut devenir absolument décisif quand on sait se tourner vers le CAUE. Ce qui n’est pas encore le cas de toutes les collectivités malheureusement.
J’ai une dernière question qui peut s’adresser à chacun d’entre vous.
Certes vous insistez sur le fait que vous n’êtes pas là pour concevoir des projets qui sont immuables. Les choses peuvent changer, elles peuvent bouger. De toute façon, l’état des lieux, il se fait tout le temps, il n’arrête jamais. C’est quand le chantier est fini, que tout commence.
Mais finalement, il y a quelque chose qui va nous dépasser un peu, c’est cette notion du changement climatique, et en particulier sur des territoires comme la Manche par exemple. On sait que la submersion Marine, finalement, va toucher ce siècle. On ne sait pas si c’est 2050, 2060, 2070, mais la submersion va toucher ce siècle, donc les aménagements, les jardins vont forcément être eux aussi, plus ou moins inondés, submergés. Comment vous appréhendez ce cette notion de la submersion Marine par rapport au projet que vous menez ?
Marc Vatinel
Moi, je suis assez serein par rapport à ça, parce que j’y pense tous les jours, j’habite dans une zone inondable. Heureusement, il y a un premier étage. Mais je sais que le rez-de-chaussée d’ici quelques années, il va falloir que j’enlève mon atelier ou que je rehausse tout. Alors c’est un vrai atelier qui est un peu haut. Je vais pouvoir rehausser les choses au fur et à mesure de la montée des eaux. Je ne suis pas inquiet pour dame nature qui va évidemment parfaitement s’adapter. Après, je pense qu’on peut avoir une intelligence de projet. Il y a des gens qui vont devoir déménager tout simplement. Il va falloir faire avec. Je pense qu’il ne faut surtout pas lutter. Ensuite, il doit y avoir plein de choses, plein de professionnels qui vont savoir gérer ça. Il va falloir par contre en parler aux gens. Il va falloir aussi que les élus, là au Havre, en fait, il faudrait clairement que les services techniques disent aux gens de rehausser toutes les installations électriques à minima, voilà. Je connais quelqu’un qui est très haut placé à la mairie du Havre qui dit on n’ose pas le dire, on n’a pas le message, on n’a pas le feu vert pour le faire passer, mais c’est quelque chose qu’il va falloir faire clairement.
Pas plus, hein. On ne déménage pas encore, on réhausse juste les installations électriques. Mais ça, c’est déjà politiquement. Enfin, c’est déjà compliqué. Et dans les aménagements, les choses sont les choses vont se faire petit à petit.
Mais c’est une contrainte ou une donnée en plus, c’est tout, ce n’est pas une fatalité. De toute façon, le paysage a toujours bougé. Pour moi, ce n’est pas une fatalité.
Marie Atinault
Donc plutôt de la sérénité et ce n’est pas de la fatalité chez Marc.
Thibaut Guézais
Moi j’inviterais s’il y a des personnes qui sont un peu inquiet peut-être à aller visiter d’autres pays. Je ne sais pas aller en Floride, faire un petit tour là-bas pour voir comment on s’adapte dans des territoires qui se prennent tous les cinq ans un ouragan. Ça reste des territoires qui sont habités. Mais du coup c’est sûr que les modes d’habiter sont différents. C’est dire qu’on provisionne pour reconstruire tous les cinq ou dix ans.
Donc en fait voilà, si on veut continuer à pouvoir investir des lieux auxquels on est attaché ou qui sont contraints par les éléments, ça va nécessiter de changer de référentiel, de changer ses habitudes, ses manières de penser, sa relation aux éléments. Peut-être ne pas être dans un rapport dur. Je veux dire de posture fixe, mais plutôt de composer avec les éléments.
Camille Fréchou
Moi non plus je ne suis pas trop inquiète, enfin si je suis inquiète. On va dire globalement sur cette question, oui, d’avoir des migrations de population, puis des gens qui peuvent plus forcément habiter là où ils sont pour l’instant. Mais par contre, c’est vrai que, en tant que paysagiste, on peut être utile en fait, on est en capacité en fait de d’inventer ou de remettre à l’ordre du jour cette capacité comme ça de résilience, notamment d’un sol, et puis de désimperméabiliser. Ça c’est un truc qu’on sait bien faire et puis qu’on aime bien faire, et puis qu’on a appris à faire aussi de manière bien rustique. De rendre fertile un sol, de rouvrir un sol. Ça, c’est quelque chose qu’on a bien appris. Donc voilà, en tant que paysagiste, je pense qu’on peut être utile sur ces question-là.
Marie Atinault
On va nous doucement terminer cette table ronde. Je voudrais déjà très sincèrement vous remercier pour vos propos. Moi en tout cas, j’ai été touchée par de nombreuses choses. Vous m’aviez à peu près, je crois, tous cité quand on avait échangé pour préparer cette table ronde, Gilles Clément, alors je voulais partager avec vous cette petite phrase que vous connaissez vous, mais peut être que tout le monde ne connaissait pas : “Pour faire un jardin, il faut un morceau de terre et l’éternité.” Je pense que ce sujet du morceau de terre et l’éternité vous l’avez partagé à travers vos propos ce soir. Peut-être pour clôturer cet échange, est-ce que chacun d’entre vous pour le mot de la fin, nous partager soit, son prochain projet, soit son coup de cœur ou son coup de gueule. Voilà, je vous laisse toute la liberté. En une phrase, chacun, votre prochain projet, ça peut être l’arrivée du livre par exemple, si ça peut vous aider.
François Roumet
Ça peut être ça, l’arrivée du livre. Je ne vais pas donner des coups de gueule parce qu’ils viennent trop vite. Mais plutôt un coup de cœur, ce sont des travaux ou des idées qu’on mène avec d’autres, avec une association parce que j’habite à Chartres, donc une association beauceronne. Des projets sur des lieux tout simples. Planter des arbres en Beauce, c’est pas du tout simple. Moi ça me tient à cœur parce que c’est vraiment… Alors ça paraît rien pour vous qui avez beaucoup d’arbres et beaucoup d’herbe. Mais pour nous beaucerons, ça représente énormément. Et c’est très révolutionnaire. Et c’est ça, ça me tient beaucoup à cœur. Et c’est ce qu’on va faire en commun avec l’association cet hiver et les hivers prochains. Donc ce sont des choses vraiment basiques, mais c’est les meilleurs je trouve.
Camille Fréchou
Moi je voulais juste revenir sur Gilles Clément. C’est vrai qu’on nous en parle beaucoup, mais son expression que j’aime bien. C’est quand il parle de partage de signature. Lui, il parle de partage de signature du projet, mais il parle du partage avec le vivant. Je pense que je peux dire ça pour nous quatre et puis tous les autres qui bossent comme nous, avec nous, qu’on prolonge cette question du partage de signatures, mais on le fait aussi avec les habitants, les services techniques, les services espaces verts, la maîtrise d’œuvre, la maîtrise d’ouvrage. Enfin en tout cas moi, c’est pour ça que je fais ce métier, ça me plaît en fait de faire du projet comme ça à plein de mains.
Thibaut Guézais
Ma petite phrase coup de cœur c’est le fait que des projets comme ça permet de faire des rencontres, des très belles rencontres. Par exemple, Philippe Caron qui est ici présent dans la salle, qui a un très beau jardin à Lessay que je vous invite à visiter. Donc Philippe, on s’est rencontré par hasard au début du projet, mais par curiosité d’aller visiter son jardin qui m’a amené à visiter aussi d’autres jardins de ses connaissances avec d’autres jardiniers formidables qui sont derrière lui. Je vous invite aussi à aller visiter ces jardins.
Et puis ce projet-là, il amène aussi à rapprocher des fois, peut-être des gens, peut-être pour des questions d’aménagement où on ne se rencontre pas forcément. Mais on a été ravi que Peter, la dernière fois qu’il était venu, soit accompagné d’amis de Manche Nature, avec qui on a pu faire une balade dans le site, faire des observations ensemble, se réunir aussi autour de projets, où on se dit que finalement c’est possible d’intervenir sur un site et d’avoir des bons résultats. Donc moi je suis ravi en tout cas dès qu’on peut se réunir et progresser collectivement sur différents sujets.
Marc Vatinel
Et là le parc qui existe aujourd’hui, c’est que le début, il va y avoir plein d’autres interventions qui vont se faire par on ne sait pas qui. Et c’est bien. La seule chose qu’il faille finalement, c’est que les intervenants se sentent concernés. C’est tout. Que soit leur niveau, il faut être concerné. Il ne s’agit pas de répondre à un marché, ou je ne sais pas, d’être le moins disant. Il faut juste être concerné et donc forcément impliqué.
Marie Atinault
Concernés, impliqués. Ça sera donc le mot de la fin, on peut les applaudir chaleureusement.
Et donc aussi pour reprendreCamille, de célébrer le vivant qui est à côté, qui a besoin aussi de toute notre attention puisqu’on partage la signature avec le vivant. Donc voilà, je considère que vos applaudissements valent aussi pour le vivant qui nous entoure.
Voilà merci pour cette soirée.
Merci aux CAUE pour cette initiative, merci à la ville de Pirou pour son accueil.
Et donc bonne soirée à tous.
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